Bonne nouvelle pour les fans, notre narrateur du GRR a prévu une troisième saison pour le début de semaine prochaine. En attendant, voici donc la saison 2. Texte et photos: Bruno Lagarde. Publication: Pierre Planas
« Ainsi donc nous voilà en semi base jump dans le rempart du
Cirque de Cilaos. Je craignais que les traileurs réunionnais ne nous explosent dans ces descentes très raides et très techniques sur lesquelles ils s'entraînent régulièrement. Ben non. Je m'en sors plutôt bien, sans prendre de risques inconsidérés, je continue à grappiller des places.
Nous doublons un concurrent au crane ensanglanté, poursuivant sa descente appuyé sur l'épaule de son camarade jusqu'au prochain ravito. Ce dernier nous lance en déconnant : « Il délire complètement. Posez-lui une question, vous allez voir ! ». Le traileur qui me précède, au fort accent toulousain, demande alors au blessé : « François Hollande a-t-il réussi son mandat ? ». Le mort-vivant lui répond en riant : « C'est qui François Hollande ? ». Nous poursuivons donc notre chemin, parfaitement rassurés sur son état.
La remontée sur Cilaos
(clic gauche pour agrandir les photos)Je débouche sur l'une des rares portions plates du GRR (quelques centaines de mètres, pas plus) et aperçois au loin Valérie qui s'affaire au téléphone, à l'entrée du stand du ravitaillement de
Mare à Joseph. Arrivé à son niveau, elle me plaque son téléphone sur l'oreille et m'explique en 3'' : « c'est la nana de SFR, elle ne veut parler qu'à toi pour te communiquer ton code ». Valérie avait préalablement demandé à un spectateur de se faire passer pour moi mais son accent créole l'avait trahi ! Mon arrivée à cet instant précis est surréaliste : je secoue donc mon interlocutrice qui semble sortir de son lit et obtiens ENFIN mon code PUK. Yes, je redeviens un homme moderne, équipé d'un smartphone en état de marche ! Je vais enfin pouvoir écouter Stone & Charden, Mötley Crüe, Michel Sardou et Hubert-Félix Thiéfaine.
Pour rallier
Cilaos, 1ère des 2 bases vies du GRR (Base vie = possibilité de manger chaud, de se doucher, de se changer, de dormir et de se faire soigner si besoin), il n'y a qu'une petite heure de parcours depuis Mare à Joseph, mais le soleil commence à taper fort et l'air est étouffant. Cilaos est, avec Mafate et Salazie, l'un des 3 grands cirques centraux caractéristiques de la Réunion. La ville de Cilaos, au pied du Piton des Neiges, est un peu le Chamonix local, avec de nombreux gîtes pour les randonneurs, des magasins de sport et d'artisanat (dentelle) et une ambiance très sportive. Haut lieu de la rando et du canyoning, on y cultive la lentille et la vigne pour y faire le vin-qui-rend-fou. On y accède depuis le littoral par l'extraordinaire « route des 400 virages » (le compte y est, croyez moi) que Valérie a du dompter de nuit, sans avoir dormi, accompagnée d'un traileur stéphanois très bavard ayant abandonné à Piton Sec, attendu désespérément par son épouse à Cilaos.
A la sortie du sentier, je double Jacky Murat, 62 ans, 17 participations, vainqueur du GRR 1994. Respect.
A l'issue d'un km de bitume bordé de nombreux spectateurs, je me présente donc au pointage, à l'entrée du stade de Cilaos, en assez bonne forme. Il est 13h30, nous n'avons effectué que 67km et je suis 884ème.
Je récupère mon sac d'assistance avec affaires de rechange, la douche est très froide et il y a la queue : j'y renonce au profit d'un simple débarbouillage. Mon cerveau fonctionne au ralenti, un peu comme si j'étais au col Sud de l'Everest, enfin j'imagine : je perds bêtement du temps à défaire et refaire mon sac et à changer de short, maillot et chaussettes. Je perds également du temps faute de signalétique claire (c'est un défaut constant de l'organisation). Où faut-il rendre le sac d'assistance ? Où mange-t-on ? Par où sort-on ? Mon appétit est toujours correct et ça, c'est une excellente nouvelle par rapport à mes expériences passées. Je repars. Je traverse Cilaos en petites foulées et plonge en direction de
Cascade Bras Rouge. Coup de bambou au pied du col du Taïbit
1000m D+, c'est l'ascension qui nous attend pour atteindre le
Col du Taïbit, sur l'arrête séparant le cirque de Cilaos du cirque du Mafate, le Piton des Neiges du Grand Bénare. C'est le 1er véritable juge de paix de la course.
Il fait très chaud, la digestion post-Cilaos fait également monter ma température corporelle : je prends un 1er coup de bambou. Mon allure baisse sensiblement, j'ai des nausées et suis, parait-il, très pale. Je trempe ma casquette à chaque gué, mais ça ne suffit pas.
J'atteins le ravito du pied du Taïbit en titubant. Je ne peux rien avaler. Je m'allonge (non, je m'affale) au milieu de la chaussée, seul point d'ombre alentour et je somnole pendant 15mn. Valérie m'apporte de l'eau et des fruits, et m'évite d'être écrasé par le bus.
Il faut repartir et, miracle, ça se passe pas trop mal : j'embrasse Valérie qui va enfin pouvoir dormir un tout petit peu et que je ne reverrai, si tout va bien, qu'au sortir du cirque de Mafate, en fin de nuit prochaine. Je retrouve des sensations normales et entreprends une ascension du col à allure correcte.
Le Cirque de Mafate, dans lequel je vais passer 13 heures, n'est accessible qu'à pied ou en hélico et ne dispose d'aucun réseau filaire. C'est un incroyable mille-feuilles géologique, enchevêtrement de pics, de crêtes, de ravines et de plateaux sur lesquels sont déposés une vingtaine de hameaux (les ilets) comprenant chacun au moins une école et une église (les réunionnais sont très croyants et pratiquants). Ses premiers habitants furent des esclaves en fuite (les Marrons) qui s'y réfugièrent au 17ème siècle. L'isolement favorisa les unions consanguines à l'origine d'un nombre important de malformations parmi les mafatais.
A
Marla, 1er des 5 ravitos de Mafate, tous les concurrents sont allongés dans l'herbe. J'ai gagné 130 places depuis Cilaos malgré mon coup de pompe. Le jour décline, la température avec, l'appétit relatif est revenu. Tout va bien.
En quittant le ravito, le concurrent qui me précède fait un crochet pour faire sonner la cloche de la petite église, fait un signe de croix et repart.
C'est reparti... !
Très vite, je me retrouve seul pour la 1ère fois depuis le départ, dans la forêt à la nuit tombante. L'ambiance est particulière, mais pas du tout inquiétante. Au détour du sentier, à ma gauche, je vois une statuette d'un Bouddha assis en tailleur, les mains jointes, posée dans l'herbe. 1/2 seconde plus tard, Bouddha devient un petit conifère. Ca y est, je suis baptisé de ma 1ère hallucination, bienvenue chez Jimi Hendrix. Tutu, sors de mon corps ! Oula, va falloir penser à faire une petite sieste sans trop tarder.
Sorti de la forêt, j'arrive au col des Bœufs puis débouche sur le fameux et vertigineux « sentier scout », planté sur une arête séparant le cirque de Mafate du cirque de Salazie. Nous sommes en pleine nuit et je ne réalise donc pas l'ampleur du vide sous mes pieds mais je sais que, là, le faux pas est interdit.
Au ravito d'
Ilet à Bourse, point le plus bas de Mafate, une vingtaine de concurrents sont endormis enroulés dans leurs couvertures de survie, allongés sur des cartons. Je m'accorde 20mn de sieste. Je perds du temps à sortir et déplier ma couverture. Une fois en place, je sens des gouttes d'eau sur mon visage. Il pleut et il fait froid. Tant pis, je reste. Ma « sieste » ne durera finalement que 15mn. Je ne parviens pas à replier ma couverture dans mon sac. Je l'abandonne sur place et repars.
S'ensuit un nombre indéterminé de courtes mais très raides montées et descentes de ravines. Ca n'en finit plus. Avant d'arriver au ravito de Grand Place, je suis escorté pendant quelques minutes par un jeune bénévole de 17 ans. C'est le fils du chef de poste : ses yeux pétillent d'envie d'être à notre place dès que possible. Il m'aide à me ravitailler puis repart avec moi. Sans doute découragé par mon manque d'éloquence, il finit par m'abandonner. Il est vrai que je suis peu bavard en course et très concentré sur la future terrible
ascension du Maido qui nous permettra de sortir de Mafate : tous les expérimentés disent qu'il faut au moins 5 heures pour gravir les 1500m D+ qui nous permettront de nous extirper de ce trou.
Nous traversons la Rivière des Galets et entamons cette ascension par des marches terriblement raides. Je repense à ceux qui m'ont annoncé que la fin était bien plus dure que le début et, franchement, je ne vois pas comment cela peut-être possible !
Roche Plate vue depuis le Maïdo
Au 1/3 de la montée, j'atteints le ravito de
Roche Plate, le dernier de Mafate : j'ai absolument besoin de dormir. Je récupère une couverture de survie qui traine par là et m'allonge sur le béton froid au pied du mur de l'école. Je prévois de dormir 20mn mais j'oublie de valider le réglage de mon réveil : je me réveille frigorifié 30mn plus tard. Je n'ai plus de batterie sur mon téléphone. J'appelle Valérie, qui m'attend 1000m plus haut, avec le portable dune bénévole, pour lui indiquer que j'ai 3h de retard sur mon tableau de marche mais que tout va à peu près bien.
En repartant de Roche Plate, on entend les spectateurs qui acclament les concurrents à leur sortie du cirque, mais on ne voit rien : ni eux, ni le cheminement de frontales pour y parvenir.
J'accomplis les 3 heures d'ascension restante dans un état semi comateux : je trébuche régulièrement et me blesse bêtement la jambe contre un rocher. Cependant, cette dernière partie est moins raide que je ne le craignais.
Le littoral vu depuis le Maïdo
A 5 heures, alors que le soleil levant rougit les crêtes et s'apprête à délivrer un spectacle extraordinaire dont nous ne profiterons malheureusement pas beaucoup,
je sors enfin du cirque de Mafate à 2000m d'altitude au milieu de dizaines de valeureux et bienveillants spectateurs. C'est le moment que choisit ma frontale pour me lâcher : parfait, je n'en ai plus besoin !
Après 2km de parcours en crête en équilibre au-dessus de Mafate, j'atteints le ravito du Maido ou Valérie m'attend depuis 3h.
Je ne suis pas très bien, je n'ai pas très faim, j'ai sommeil. Je tente une purée + jambon : ça passe ! Le jour se lève. Il est 5h30 et je suis 595ème.
Nous sommes partis depuis 31h30 et
il reste une cinquantaine de km à parcourir...
Suite et fin mardi soir.
Bruno Lagarde. »